0

couverture_750.jpg

Une feuille de cannabis sativa, CC-BY Philip Steffan

COIN V2 600x600.png

UN NOUVEL OR VERT ?

Rapport de Terra Nova

Association créée en 2008 qui se présente comme un think tank progressiste et indépendant, ce laboratoire d’idées libéral est jugé politiquement proche du centre-gauche.

 

 

 

Terra_Nova_logo.png
Terra_Nova_logo.png

CANNABUSINESS

Et si les dealers avaient vu juste ? En France, le cannabis rapporte, et pas qu’un peu. Si on arrêtait les fantasmes autour du trafic de cannabis pour se poser les bonnes questions ? Des pays osent braver les nombreux interdits, jusqu’à légaliser et exploiter

le filon comme n’importe quel autre business.

 

De là à y voir un nouvel or vert et la fin de la « guerre contre la drogue », 

il n’y a qu’un pas. Renflouer nos caisses, augmenter la prévention, étouffer

le marché noir et créer des centaines d’emplois ? La France répond « non » 

pour le moment, mais peut-elle se laisser convaincre ?  Les nouvelles industries vertes

sont à nos portes.


 

De l'échec à la réflexion

 

Benoît Hamon a fait de la légalisation un argument de campagne. Il s’agit

d’une question de santé et d’ordre public, où il est important « de pouvoir prendre en charge la vente et le commerce ». La répression française n’a pas su faire

ses preuves. « La prohibition c’est le désordre, la violence et les morts par armes

à feu à Toulouse ou à Marseille », selon l’ancien ministre.

 

 

 

Benoît Hamon

L’une des seules personnalités politiques françaises à prôner la légalisation

du cannabis, il a créé le parti politique Génération·s en juillet 2017 peu après

sa défaite à la dernière présidentielle.

 

 

HAMON
NEWHAMON.png

Sans compter l’augmentation de la consommation du cannabis,

« dans la pénombre des trafics aux mains des dealers ». Jugé comme

un tabou politique et longtemps exclu des débats télévisés, Hamon estime

qu’il est temps d’étudier ce qui se fait ailleurs.

 

Les chercheurs du think tank Terra Nova évaluent le coût de la répression du cannabis, pour 2014, à 568 millions d’euros, dont 300 rien que pour

les interpellations. Des fonds qui ne vont, selon eux, « ni à d’autres missions utiles, ni aux politiques de prévention et d’accompagnement pour les usagers dépendants ».

 

La répression des drogues concerne, à 90%, le cannabis.

Et son impact dans notre économie est importante, puisque

l’Insee a récemment intégré les 3 milliards du marché

des stupéfiants illégaux dans le PIB.

 

Nos politiques de lutte contre les drogues font partie des plus répressives d’Europe occidentale. Un constat amer dressé par d’anciens chefs d’État internationaux, pour

qui la France fait face à « un échec difficile à contester ». Les mesures prises

par nos gouvernements successifs sont jugées peu efficaces alors que le trafic illégal prospère.

 

« Ce n'est pas parce que vous supprimez l’offre que vous supprimez la demande…

Il y a un marché noir qui se crée et des criminels répondent à une très grande demande en France », explique Nicole Maestracci, dirigeante d’une mission ministérielle

contre les drogues.

 

 

Un panneau de signalisation anti-joints à Amsterdam (NL), CC-BY Jay Galvin

Citation1.jpg

« La seule solution, c’est que l’État

reprenne le contrôle de ce marché »

                                                                                        - Emmanuelle Auriol

La politique répressive « décrédibilise l’État » pour Emmanuelle Auriol.

Elle explique que récemment, les évolutions vers la contraventionnalisation sont un cri d’alarme poussé par des syndicats de police dépassés.

Selon l'économiste toulousaine, « la seule solution, c’est que l’État reprenne

le contrôle de ce marché ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Emmanuelle Auriol

Maître de conférence à la

Toulouse School of Economics

et économiste française, auteure de

Pour en finir avec les mafias  - Sexe, drogue et clandestins : et si on légalisait ? (Armand Colin).

 

 

AURIOL.jpg

Avec une légalisation et la mise en place d’un monopole d’État, « on allège le coût

pour les contribuables » d’une politique « absurde et inapplicable ». Des milliers d’heures de fonctionnaires « flambent pour rien », souligne Emmanuelle Auriol.

« On oublie les coûts policiers, de la santé, d'emprisonnement, de la justice,

de l’insécurité dans les quartiers… »

Une économie souterraine pare-balles


Notre marché noir de l’herbe est dynamique. Une activité illégale menée depuis le Maroc, principal fournisseur du trafic français. Ses exportations seraient

en constante hausse avec des taux de THC, la célèbre molécule psychoactive,

toujours plus élevés.

 

 

SAISIES.png

 

 

Les Inrocks évoquent même une ubérisation du commerce. Messageries

chiffrées, livraison à domicile et fidélisation... Les réseaux mafieux s’emparent

de techniques modernes pour faire face à la répression. La « weed à domicile » 

est un pied de nez des trafiquants à l'État, portés par une forte demande

et par l’échec des politiques répressives.  

 

 

 

 

 

 

Au Colorado, taxes vertueuses et jobs par milliers

 

 

 

 

 

 

 

Légalisé en 2014, le business du cannabis récréatif et médical au Colorado

a explosé. Un an plus tard, l’activité économique atteint 2,4 milliards de dollars.

Cette économie concurrentielle inclut pourtant des taxes importantes.

La création du Marijuana Tax Fund fut l’une des conditions à la légalisation récréative et permet une redistribution directement aux citoyens.

 

Ces fonds publics participent à des programmes de santé, d'éducation,

de prévention et de traitement des addictions. Ils profitent aussi

aux gouvernements locaux et financent certaines écoles publiques.

Ryan Brown dirige Native Roots, une chaîne de dispensaires

au Colorado. Ses magasins distribuent du cannabis récréatif et médical.

Ryan Brown

PDG de Native Roots, une chaîne

de “dispensaires” de cannabis

récréatif et médical au Colorado,

avec environ 650 employés

et des ambitions sans limites.

 

 

ARGENT1.png

 

 

 

 

 

Le cannabis est synonyme d’emplois au Colorado. De la production

jusqu’aux relations clients, en passant par le marketing et le transport... Les jobs liés

à l’industrie se comptent par milliers. Ce nouveau marché attire cerveaux et touristes.

 

 

 

COLORADO.png

 

 

Les complexités d'un nouveau marché

 

 

 

 

 

 

 

Au bureau, ce n’est pas toujours facile pour Ryan Brown. Native Roots

doit respecter des réglementations strictes pour produire, transformer

et vendre légalement son cannabis. Plus les activités sont diversifiées,

plus il est complexe de commercialiser des produits forts en THC.

Et avec des taxes élevées, le Colorado a du mal à endiguer les trafics,

qui rivalisent avec l’industrie légale.

 

 

 

 

 

 

 

 

La vente récréative du cannabis au Colorado a constitué une étape importante dans le changement des mentalités aux États-Unis.

La Californie a suivi le mouvement au 1er janvier 2018. Le marché légal outre-atlantique a bien des défauts, mais il n’en reste pas moins rentable

et en plein boom. Les prévisions pour cette année sont au vert.

Les ventes récréatives devraient atteindre 4,75 milliards de dollars,

et le domaine médicinal pourrait toucher la barre des 6 milliards.

 

 

 

 

Un vendeur de Native Roots présente des fleurs de cannabis

à des clients au Colorado (USA), DR Native Roots

Citation 2

« Le cannabis est utilisé pour éliminer

le stress post-traumatique

ou la dépendance aux opioïdes »

 

                                                                         - Ryan Brown

 

 

 

 

Au Canada, l’été prochain marquera l’arrivée du commerce récréatif.

Aurora Cannabis, CanniMed Therapeutics… Ces noms ne vous disent probablement rien, mais sont déjà de puissantes multinationales.

 

En coulisse, on se prépare à coups de transferts, d’acquisitions

et de reconversions. Hommes politiques, entrepreneurs et agriculteurs

veulent tous une place de choix. La course à l’or vert fait rage

avant même que le cannabis ne soit légalisé.


Outre-atlantique, les entrepreneurs guettent le marché européen,

qui peine pourtant à émerger. Mais l’économie ouverte de l’Union européenne

serait une belle opportunité pour Ryan Brown et pourrait mener

à la naissance d’une « industrie fructueuse ».

 

 

 

 

Des balbutiements en Europe

 

 

 

 

 

 

 

Pour le sociologue Simon Anderfuhren-Biget, la France n’a toujours pas adopté une « attitude pragmatique ». Alors que le pays devrait « sortir du carcan idéologique » pour « s’attaquer aux vrais problèmes », y aura-t-il enfin de grands débats en 2018 sur le cannabis ? « En Europe ? Oui, ça bouge, assure le chercheur. Il y a tous les mois un nouveau pays qui autorise le cannabis médical. »

À ce jour, celui-ci est légal ou partiellement dans plus d’une trentaine de pays

dans le monde.

 

 

 

Simon Anderfuhren-Biget

Sociologue et chargé de projet au GREA,

le Groupement d’étude romand

sur les addictions en Suisse.

Il est également chercheur associé

à l'Institut de Recherches Sociologiques

de l’Université de Genève.

ARGENT2.png

 

Prenons l’exemple des Pays-Bas, dont la réputation n’est plus à faire

en la matière. Au royaume des coffee shops, l’usage de stupéfiants

n’est pas autorisé. Là-bas, malgré une vague de fermetures d’établissements,

la tolérance règne. La prochaine étape pourrait être un commerce

contrôlé par l’État. Le gouvernement néerlandais souhaite superviser

des cultures de cannabis à destination des célèbres cafés.

Cette expérience pourrait concurrencer l’actuelle mainmise des criminels

sur le marché, seuls fournisseurs des coffee shops.

 

En Espagne, alors que le cannabis est en vogue, il se cultive toujours dans le plus grand secret. Pourtant, à Barcelone, c’est un peu comme le café du matin

au bistrot. Là-bas, on vient se fournir en weed au comptoir. Des entrepreneurs ont développé les Cannabis social clubs, des associations de consommateurs qui fonctionnent comme de petits dispensaires. On estime leur nombre à plusieurs centaines dans la capitale catalane. Ils sont même reconnus et encadrés par la loi depuis juin 2017.

 

 

 

Une salle de « séchage » de plants de cannabis

à Birmingham (UK), CC-BY West Midlands Police

Citation 3

« Il y a tous les mois un nouveau pays

qui autorise le cannabis médical »

 

                                                          - Simon Anderfuhren-Biget

Loin de l’image du dealer ou d’un personnage bohême en sarouel, le cannabis prend

une image plus normalisée, voire branchée. Les Cannabis social clubs n’y sont pas pour rien.

La consommation de marijuana catalane n’est pas vraiment tabou. Un musée,

le Hash Marihuana & Hemp Museum, promeut même son usage. Le festival Spannabis participe également, depuis sa première édition en 2002, aux débats et aux discussions.

Un business en plein essor et une culture qui coexistent.

 

De l’autre côté de l’Atlantique, les investisseurs canadiens sont aux aguets.

L’entreprise Tilray, par exemple, s’est récemment développée en Allemagne. Jusqu’à devenir, selon elle, « le premier producteur autorisé à importer légalement des produits (...) pour

une distribution nationale par les pharmacies ». La firme compte bientôt s’établir

au Portugal. Preuve que ses ambitions frappent maintenant aux portes de l’Europe.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

En Suisse, un CBD attractif…

 

et récréatif ?

 

 

 

 

La même odeur, le même aspect… et le THC en moins, ou presque.

Le cannabidiol, plus communément appelé CBD, est devenu un produit sollicité, sans effets psychotropes. Il suffit de franchir le lac Léman

pour se rendre compte que nos voisins les plus proches ne manquent

pas d’imagination.

 

En 2017, le trentenaire suisse Jonas Duclos a même réussi l’exploit

d’en exporter quelques colis en France. L’entrepreneur, atteint

par une maladie génétique rare, a essayé de nombreux traitements

et anti-douleurs. Jusqu’à se rendre compte qu’il se sentait

plus soulagé « en fumant des joints ».  

 

En Suisse, le cannabis légal est arrivé après plusieurs années de marché gris, où la tolérance était différente suivant les cantons. Après la légalisation du CBD, une ruée vers l’or vert s’est vite organisée dans le pays à la croix blanche. Depuis, ils sont plus de 370 exploitants à se partager l’industrie.

 

Jonas Duclos

Ancien banquier reconverti dans l’industrie

du cannabis.Il a créé CBD420 en 2017

et commercialise des produits CBD

depuis la Suisse. Vice le présente comme l’homme « qui enfume la France ».

ARGENT3.png

D’après Jonas Duclos, l’exigeante réglementation Suisse peut conduire à quelques difficultés pour avoir des prix jugés acceptables par les clients. « On paye énormément de taxes qu’on doit régler à l’avance. Par rapport à beaucoup de nos concurrents,

on est dans les rares à toutes les payer. » Une rigueur, permettant à son entreprise CBD420, d’assumer une « position de leader ».

 

 

 

 

 

nativeshop.jpg

Le comptoir d’un dispensaire de Native Roots

au Colorado (USA), DR Native Roots

« On n'a pas fini de découvrir

ce qu'on peut faire avec le cannabis »

                                                                                             

                                                                    - Jonas Duclos

Première peut-être, mais CBD420 ne fait pas cavalier seul. De plus en plus d’entrepreneurs sont tentés par cette industrie. Il faut dire que la consommation, illégale, représenterait entre 600 millions et 1 milliard de francs suisses.


Les profils des clients semblent différents selon qu’ils se fournissent en cannabis avec du THC ou via le commerce légal, avec du CBD uniquement.

En Europe, cette industrie pourrait attirer des consommateurs

à la recherche d’un cannabis… plus thérapeutique qu’on ose le vendre.

Si le cannabis CBD n'est vendu qu'à titre récréatif, des clients n'hésitent pas

à l'utiliser pour soulager certaines douleurs. Pour Jonas Duclos, c’est évident :

« On n’a pas fini de découvrir ce qu’on peut faire avec le cannabis. »

 

 

 

 

 

 

 

Santé d’abord, profits ensuite ?

 

 

 

 

 

« Nous sommes les premiers en consommation et en répression. Il faut faire quelque chose, non ? », s’indigne Emmanuelle Auriol. Mais faut-il se laisser guider par l’appât

du gain ? « Le revenu fiscal est un mauvais argument. L’objectif, ce n’est pas le profit. C’est la santé publique et limiter l’accès au cannabis pour les plus jeunes »,

répond-t-elle, adepte d’une économie placée entièrement sous le dogme de l’État.

 

Pour prôner la légalisation, certains préfèrent adopter un argument de santé publique avant de penser à l’argent. Les discussions en France vont ainsi dans le sens opposé

à celles engagées au Colorado en 2012, lors des grands débats sur la légalisation.

 

 

 

 

L’entrepreneur suisse est plutôt tenté par le modèle installé au Colorado.

Il estime que « la problématique pour mettre en place des réglementations

est qu’il n’existe pas de standard. Qui est l’autorité compétente pour dire :

"c’est comme ça que ça se passe ?", s’interroge-t-il. Il n’y a aucun pays qui réglemente le contenu des produits et quelles informations doivent y figurer. »

 

Pour Jonas Duclos, il faudrait créer des normes pour réguler le marché

et permettre un contrôle à la fois de l’industrie et de la santé publique.

Du côté d’Emmanuelle Auriol, un étouffement des trafics serait nécessaire avant de penser à la rentabilité. Il faudrait alors « continuer à faire de la répression ».

 

 

 

 

 

 

Quelles solutions ?

 

 

 

 

 

CONCLU.png

Un monopole d’État, c’est ce que pourrait espérer de mieux la France selon Terra Nova. Les enjeux économiques sont simples : contrôler la consommation et concurrencer

le marché noir tout en captant de nouvelles sources de revenus. En 2014,

les chercheurs chiffraient à 13 000 la création d’emplois suite à une potentielle légalisation du cannabis.

 

L’enjeu ? Contrôler le nombre de consommateurs tout « en sortant ce marché de la clandestinité ». Il faudrait alors fixer des prix « plus bas, proches de ceux actuellement pratiqués sur le marché noir, pour assécher les filières clandestines ». Sans écarter la possibilité d’une augmentation continue plus tard, comme avec le tabac.


Un jeu qui en vaut la chandelle, puisqu’il permettrait également d’assumer

de réelles politiques de prévention similaires à l’alcool. Si la France peut déjà s’inspirer

de plusieurs États, elle restera pourtant sans doute à la traîne pendant quelques années. Mais jusqu’à quand ? Peut-être est-ce le temps d’en finir avec ce tabou français.

Pour Emmanuelle Auriol, c’est certain, « il se passe quelque chose au niveau mondial ».

Et la France n’y échappera pas.

 

 

 

BOUTON_GRIS.png

<            RÉPRESSION,

                       SEULE SOLUTION ?

BOUTON_JAUNE

 

À PROPOS                 >

BARRE FIN.png
Copy of Calque 12 copie.png
TASK BAR V2 TEXTSMALL.png